Jouer comme à la télé

J’aime beaucoup le travail de Brand, et quelque part, je le considèrerais presque comme le modèle de mes ambitions intello-théorico-rolistes.

Sauf que là, ça peut pas continuer.

Récemment, je me demandais de quelle façon il serait possible de structurer une campagne de jdr comme une saison de série télé. C’est plutôt à la mode, Cops ayant adopté le terme officiel de "saisons" pour décrire une suite de suppléments liés, et les séries télé étant de plus en plus imaginatives et intéressantes.

Et voila ti pas que ce saligot de Brand reprend un des axes de ma réflexion ! Bon, il est pas dans mon cerveaux (l’heureux homme !), il savait sûrement pas.

Je vais donc essayer de compléter ses propos, et de proposer une solution technique à tout ce fatras théorique.

Structure d’une série

Les modèles de séries télé ne sont pas
légions. On retrouve la plupart du temps deux structures :

  • Le One Shot : Un grand
    classique pour les séries policières. Chaque épisode
    est une intrigue indépendante, et à la fin de
    celui-ci, le statu-quo est préservé. L’avantage, c’est
    que l’on a pas besoin de suivre ce type de série pour y
    comprendre quelque chose. Typiquement le modèle des sitcoms.

  • Le Feuilleton : C’est la démarche inverse,
    chaque épisode fait évoluer la situation, progresser
    une intrigue, et peu influencer les personnages. Les soaps sont les
    représentants emblématiques de cette structure.

Les séries ont toutefois tendance à complexifier
leur structure, empruntant à la fois dans le One-Shot et dans
le Feuilleton en se construisant autour d’axes narratifs présents
dans quasiment tous les épisodes :

  • La méta-intrigue :
    cet axe narratif est sous-jacent à toute la série. En
    général, une méta-intrigue se résout en
    une saison, mais ce n’est pas toujours le cas. La conspiration des
    X-Files n’est résolue qu’après 5 saisons, tandis que
    l’on connait les secrets de Mary Alice dès la fin de la
    première année de Desperate Housewives. La méta-intrigue
    n’est pas forcément présente dans tous les épisodes.
    Certains épisodes de Charmed sont tellement indépendants
    qu’ils pourraient s’intercaler dans n’importe quelle saison.

  • L’Intrigue Ponctuelle : Un
    épisode doit avoir un début et une fin. Si les
    cliffhangers sont de plus en plus courant, ils n’interviennent
    toutefois qu’après la résolution de l’Intrigue
    Ponctuelle. Celle-ci peut être une mission (ou un
    sous-objectif de mission), une enquête, la révélation
    d’un élément de la méta-intrigue, ou la
    thématique réflexive de l’épisode. C’est
    l’objet principal de l’épisode, son fil conducteur. Elle est
    en général clairement énoncée dans les
    premières minutes (après que le cliffhanger de
    l’épisode précédent ai été
    résolu). C’est le briefing de mission dans Alias, la
    découverte pré-générique du corps dans
    Les Experts, ou les conditions de la mort du futur client dans Six
    Feet Under.

  • Les Intrigues Personnelles : Chaque personnage doit
    être un vecteur scénaristique. Sinon, il est voué
    à disparaitre. Et encore, le simple fait de vouloir faire
    disparaitre un personnage fait de ce dernier un centre d’intrigue.
    Le développement des Intrigues Personnelles est parfois
    conséquent : C’est le cas des relations entre Lana et Clark,
    ou Lex et son père, dans Smallville. Mais c’est aussi un
    moyen de créer de l’empathie avec les personnages principaux
    d’une série One Shot. Dans NCIS la vie privée des
    personnages est sous-entendue par de très brèves
    références. Elle n’est que rarement montrée, car
    ce qui compte c’est l’enquête de l’épisode. Le
    spectateur de passage n’y attachera aucune importance, tandis que le
    fidèle verra évoluer ses héros aux fils des
    épisodes (au passage : honte aux chaines qui cassent les
    efforts des scénaristes en proposant des diffusions
    aléatoires).

Un jeu d’orphelins insensibles

En jeux de rôle on connait plutôt bien ces structures.
Le One Shot c’est le scénario sans suite, une bonne vieille maison hanté cthulhuesque;
Le Feuilleton c’est la campagne;
L’Intrigue Ponctuelle c’est l’objectif d’un des scénarios de la campagne;
La Méta-Intrigue c’est tous ce que font ces §#*! de manipulateurs de Tremere dans notre dos durant toute la campagne;
Les Intrigues Personnelles c’est … hum … tous ce que les joueurs veulent bien faire pour donner de l’épaisseur à leur personnage.

Et là il y a un problème. Souvent, on se retrouve dans le groupe avec un personnage qui sort du lot, et qui eclipse les autres. Au point qu’ils ne servent plus que de faire valoir. Leurs intrigues Personnelles (IP) se résument à leur relation avec le "héros", et au sentiment commun de haine envers "l’adversaire" de la campagne.

Peu de joueur ont envie de s’enticher d’une famille qui se fera forcément corrompre/enlever/tuer par un Mj sadique en quêtes d’émotions. Le nombre d’aventuriers orphelins et solitaires est à ce point faramineux que c’est à se demander comment ils se reproduisent.

Et vous avez déjà essayer de parler d’amour et de sexe sans déclencher l’hilarité, voire la gène s’il y a présence féminine ? Créer une relation amoureuse entre un PJ et un PNJ est un travail très difficile.

Bref, le jeu de rôle ne favorise pas les relations sociales réalistes des personnages (ce qui déteindrait sur les joueurs ? ;)), et rarement les relations crédibles.

Car comme ceux qui ont un peu réfléchis sur notre loisir le savent, ce que l’on cherche en jdr ce n’est pas le réalisme, mais la crédibilité. Un mec qui lance des boules de feu, ce n’est pas très réaliste, mais ça reste crédible dans les Royaumes Oubliés. A ma connaissance, seul 7th Sea permet de gérer de façon ludique les Intrigues Personnelles, et cela via les épée de Damocles, des désavantages que les joueurs achètent avec leur points d’expériences, avec comme promesse en retour des situations qui lui rapporteront d’autres points d’expériences.

Si vous avez d’autres exemples je suis preneur.

Aimer c’est voler plus haut

Bien entendu, l’intérêt des intrigues personnelles dépend du setting. Les héros de 7th se devait d’avoir des sentiments exacerbés, et le système rend justice aux amours et aux haines des univers de cape et d’épée. Par contre, si l’on compte se lancer dans du dungeon crawling pur et dur, cela n’a guère d’intérêt.

Alors comment interesser les joueurs à la vie de leurs personnages ? Et quand je dis "vie", je ne parle pas que de l’objet du scénario et de la campagne.

7th Sea, encore une fois montre la voie : il faut ressortir la bonne vieille carotte du bonus en terme de règles. Le plus simple, c’est d’offrir des Points d’Expériences. Mais des point d’héroismes peuvent aussi faire l’affaire. Il est aussi possible de créer des points spéciaux pour simuler cette partie du jeu. Par exemple, des Points d’Empathie pourrait permettre au personnage de déclencher des réactions chez les PNjs. Il est aussi possible de gérer les Intrigues Personnelles en amonts, en offrant des avantages liés à celles-ci.

Chaque solution n’est bien entendu à utiliser que si elle est en accord avec les setting. Voici un petit récapitulatif des possibilités qui me sont venues à l’esprit :

  • Le gain en expérience : A chaque fois qu’un joueur mets en scène une Intrigue Personnelle, il peut gagner de l’expérience. L’IP doit être acheter à la fin d’un scénario, afin de permettre au MJ de la mettre en place pour les fois suivantes. Le coût n’est pas obligatoire, mais permet de donner une motivation au joueur. Bien entendu, plus l’IP est importante et dangereuse pour l’intégrité du PJ, plus elle coûte chère, et plus elle rapporte.
  • Le gain en héroïsme : L’amour permet de déplacer des montagnes. La haine de les détruire. Via l’Intrigue Personnelle, le joueur peu dépasser ses limites et faire des actions exceptionnelles. Les remarques sur l’achat de l’IP sont identiques aux paragraphes précédent.
  • Le gain en empathie : une nouvelle ressource apparait sur la fiche de perso. Les Points d’Empathie sont gagné par le joueur lorsque celui-ci developpe une Intrigue Personnelle de son personnage. Les Points d’Empathie permettent d’influencer sur les IP des PNJ. Par exemple en créant la haine, le mépris, ou l’amour. Ils permettent aussi d’avoir des bonus pour deviner l’état psychologique du PNJ.
  • L’avantage/défaut : A la création de personnage, le joueur peut choisir (ou acheter) une Intrigue Personnelle liée à son archétype, ou à son background. Celle-ci peut offrir des avantages logistiques au personnage, et/ou des occasions de gagner des points d’expérience/héroisme/empathie supplémentaires.

Certes, ces idées rajoutent des mécaniques là où un bon roleplay peu suffire. Mais offrir des outils favorisant la mise en scène fait partie intégrante des règles. Et franchement, sans les relations ambiguës entre Sarah et Grissom, Lana et Clark, le bleu et Abby, Fox et Dana, … croyez vous que vos séries seraient aussi intéressante ?

Posez-vous bien cette question avant de vouloir faire jouer comme à la télé.

4 réflexions sur « Jouer comme à la télé »

  1. Salut Pierrick,

    Merci beaucoup pour ces quelques mots qui sont très gentils même si tu me prêtes des mérites que je n’ai pas. La plupart de ce que je mets sur mon blog est soit une adaptation au jdr de choses que je rencontre ailleurs, soit directement leur partage parce que ça me semblait interessant d’en faire l’écho. Je n’ai vraiment aucune prétention là-dessus, vu que ce n’est en général pas de moi.

    Sinon, concernant les points que tu mets en avant dans ton message, est ce que tu peux donner plus de détails sur la façon dont les IP (au fait, merci d’utiliser des mots en français là où j’ai un mal de chien à le faire et où je reste bloqué sur des anglicismes inutiles) sont gérées dans S7M?

    Ensuite, il me semble que la première (mais aussi la plus simple et la plus évidente, c’est sans doute pour cela que tu ne l’as pas mise) des récompenses pour les IP est tout simplement leur insertion dans le monde tel que le voient les joueurs/PJ. Ainsi, ces IP devraient elles-même donner des avantages en jeu pour le joueur (personnage mis en avant, poids sur le jeu plus important, implication plus importante) et pour le personnage (évolution, contacts – je pense notamment à COPS -, etc…).

  2. 1. La théorie, ce n’est qu’une synthèse d’un recyclage d’expérience, ce que tu fais très bien 🙂

    2. Pour les IP version S7M (tiens, la c’est toi qui utilise le français ;)), je n’en ai été témoin qu’en tant que joueur, donc mes souvenirs sont assez vagues. En gros, le joueur peu acheter une épée de Damoclès qui sont des « ennuis en sursis ». Pas exemple, l’ennemi juré du personnage sera forcément, par le plus grand des hasards, le capitaine de la galère dans laquelle ils ont été enlevé. Cela mets le joueur dans la merde, mais lui donne des moyens de gagner des points d’expériences supplémentaires. S7M est un des rares jeux ou l’on paye pour avoir des flaws ! Cela peut aussi permettre des scène digne de la rencontre entre Mat Mardigan et la rousse (plus le nom en tête) dans Willow. Bon, en général, une amoureuse est plutôt faite pour être enlevée 🙂

    3. C’est un peu ce que je veux dire quand je parle des avantages/défauts. Ce sont les classiques « amour perdu » et « sombre secret » de la plupart des jdr. Mais je pense qu’a ces désavantages, il faut donner une dimension positive, sinon le joueur ne l’utilisera que pour gagner des points à la création de perso. Un sombre secret peut par exemple permettre au personnage d’user de ses anciennes relations dans la pègre. Un amour perdu peut impliquer que le personnage est encore en relation avec la riche famille de son amour, ce qui lui remet sans cesse en mémoire sa disparition.

  3. Bein en fait, j’ai pas lu S7M…
    Juste fait quelques parties qui m’ont énormément plus. Faudrais que j’investisse un de ces quatres dans le jeu.
    Et pour ton forum, j’y ai jeté un oeil, mais j’ai déjà du mal à suivre ceux qui traitent des jeux que je suis en ce moment. Mais le web roliste est petit, sans doute nous recroiserons nous ailleurs ? 🙂

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